Il y a quelques temps, je me suis lancé
dans un voyage safari dichotomique. Avec l'aide de mes amis, je suis
allé voir Marylin Manson en concert en dormant la veille dans
un hôtel 4 étoiles. Dans une telle expédition
paradoxale, il y a une préparation psychologique indispensable
pour ne pas confondre les usages de chaque monde que l'on s'apprête
à côtoyer. Comme ce genre d'expériences ne se
renouvellera pas tous les jours, il est important d'aiguiser ses sens
pour être à l'affût et capter la moindre particule
d'exceptionnel, l'air de rien. Mais comment faire quand on ne possède
pas les codes de là où l'on se rend? Je suis un Levi
Strauss en expédition dans une tribu que l'on voit de plus en
plus souvent dans les média de masse. Je ne risque rien si ce n'est à trop me cacher, de ressembler à
un Clouzot en goguette .
Ce matin là, lorsque je descends prendre mon petit déjeuner, au rez de chaussée de l'hôtel dédié au restaurant j'ai encore les yeux dans la brume et les coudes sur la table quand mes premières observations d'hostalo-ethnologue viennent naturellement à moi: l'essentiel des personnes présentes porte des habits qui me semblent sortis d'une chaîne de vêtements bon marché et ils parlent Anglais avec un accent américain. Peut-être celui là est-il allé faire un footing pour chasser le stress accumulé par sa journée de cadre financier dans une multinationale? (bon sang mais on est dimanche matin! Et plus personne ne dit "multinationale" du reste.) Peut être celui-ci est-il encore en pyjama ou encore porte-t-il la pire de ses tenues prévue pour le petit-déjeuner?
A ma gauche une table de quatre personnes me fait m'interroger à nouveau: est-ce que lorsqu'ils ne portent pas de costume ces gens ne savent pas s'habiller? Les quatre hommes, trentenaires, portent tous des polo et des baskets. Est-ce parce que lorsqu'ils ne portent pas les costumes que leurs fonctions supposent, ils ne savent pas s'habiller? Ou bien s'agit-il de leur tenue des jours feriés, celle des jours où les rôles diffèrent et avec eux les masques?
Pour moi tout est nouveau ici : la sobriété élégante et classique du décor. Un rez de jardin donnant sur un atrium de briques rouges orné de colonnades (que j'espère au moins artificielles) de (faux?) marbre rouge. Tout est-il étudié pour donner une impression cossue? La tasse à café est svelte et haute. Elle produit un tintement épais lorsque la cuillère la frôle. Le son très amorti, bref et sourd du plateau de plastique blanc sous la tasse rappelle qu'il est massif. De la porcelaine de Chine jusqu'aux portières de Jaguar, des parfums d'hiver jusqu'aux portefeuilles bien garnis, des mollets délicats d'amantes onéreuses jusqu'aux grains de caviar, tout dans ce monde semble devoir être soit très fin, soit très épais. L'intermédiaire étant sans doute synonyme d'incapacité à se déterminer, et donc de médiocrité, c'est probablement pourquoi il est banni de cet univers.
J'ai emprunté des feuilles à
l'accueil et me suis installé dans un des petits salons
arrangés devant la chambre avec fauteuil club au tissus
foliacés pour me donner l'impression d'être Hemingway.
Le son que produit la table de bois sous les picotements du stylo à
bille mis à disposition dans la chambre,sur
l'épais sous main de cuir, me permet de prendre conscience que
j'écris vite, à petits traits précis et rapides,
et qu'il faut que je couvre les arrières d'une mémoire
qui va à coup sûr ne se souvenir que de grossières
et vagues impressions d'ici peu
(à suivre)
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